Haïkus avec les mots d'un.e autre
Kenneth White Un monde ouvert « Bois d’hiver » traduction de Pierre Leyris
J’ai mis les livres de côté
et je vois les dernières pommes
Tombées des arbres gelés
j’ai vu aussi les glands darder
leurs pousses rouges
dans le sol dur
et l’écorce des bouleaux blancs
fut pour moi plus que tous les livres
et ce que là je lus
dénuda mon cœur au soleil d’hiver
et ouvrit ma cervelle au vent
et tout à coup
tout à coup je sus dans ce bois d’hiver
que j’avais toujours été là
avant les livres
comme après les livres
il y aura un bois d’hiver
et mon cœur nu
et ma cervelle ouverte au vent
KW
écorce des livres
à nu les bouleaux d’hiver
et ma feuille blanche
le sol dur à cœur
avant et après les livres
des pommes gelées ?
tout à coup le vent
et le dard du soleil rouge
il y aura moi
bb
Avant les livres
L'écorce des bouleaux blancs
Comme après les livres
Livres de côté
Ma cervelle ouverte au vent
Tout à coup je sus
Mon coeur nu
Je vois les dernières pommes
Sur le sol dur
mm
5 juillet : Le poème "Évasion " est de Esther Granek (1927-2016). Extrait de "De la pensée aux mots"
Et je serai face à la mer
Qui viendra baigner les galets
Caresses d'eau, de vent et d'air,
Et de lumière. D'immensité.
Et en moi sera le désert
N'y entrera que ciel léger.
Et je serai face à la mer
Qui viendra battre les rochers.
Giflant. Cinglant. Usant la pierre.
Frappant. S'infiltrant. Déchaînée.
Et en moi sera le désert
N'y entrera ciel tourmenté
Et je serai face à la mer
Statue de chair et coeur de bois.
Et me ferai désert en moi
Qu'importera l'heure. Sombre ou claire.
E.G
Désert de lumière
Les galets sont des caresses
Chair usant ma chair
Sombre et déchaîné
En moi entrera le ciel
Qu’importera l’heure
Statues des rochers
Vent cinglant la mer à coeur
Je me ferai eau
bb
Ce ciel tourmenté
En moi sera le désert
Qu'importera l'heure
Statue de chair
Face à cette immensité
D'eau usant la pierre
Caresse du vent
En nos cœurs de bois, de pierre
Entre un ciel léger
mm
12 juillet « Nouveau voyage vers les îles » kenneth White
Descente sur Sint-Maarten
à travers 10 km de nuages denses
la carte d’immigration à remplir :
« êtes-vous ici pour affaires ?
Pour le plaisir ?
Êtes-vous en lune de miel ?
Comme d’habitude, L’ami, juste en transit
partout des signes du dernier cyclone
toits arrachés, palmiers déchirés
bateau sens dessus dessous
parmi lesquels un vétéran à la cheminée rouge
The Carib Islands
de mon balcon dégoulinant de pluie
je suis des yeux le vol nonchalant d’un pélican gris
au-dessus des eaux glauques
KW
vol juste en transit
la carte d’immigration
d’un pélican gris
des toits en palmiers
au-dessus des eaux de pluie
la cheminée rouge
en lune de miel
un vétéran nonchalant
sens dessus dessous
bb
Comme d'habitude
Descente en vol nonchalant
Le "pélican " gris *
Parmi ses affaires
Sa carte d'immigration
Partout en transit
La cheminée rouge
Juste au-dessus des eaux glauques
La lune en transit
mm
*(Mon pélican est un avion bien entendu)
19 juillet :
Poème en prose de Jacquy Gil (découvert sur Twitter )
« Et toujours une branche prête à lézarder le ciel... Non pour lui infliger quelque blessure mais pour héler nos regards qui jusqu'ici n'avaient couru que sur les pierres.
Le ciel pousse alors un cri retentissant, ouvre en nous un infini : une autre marche !
Et son vif azur nous éblouit à l'instant même où nos pas heurtaient rudement le sol . Juste pour nous dire ce qu'il faut d'épreuves, de tâtonnements pour parvenir à l'échappée Belle. »
(Extrait de "L'envers du monde ", éditions ALCYONE)
Sol retentissant
A l’épreuve de nos pas
Pour l’échappée belle
Le ciel infini ?
Sur les pierres lézardées
Une autre blessure
Nous et nos regards
Tâtonnements à l’instant
Où la branche pousse
bb
Regards sur les pierres
Tâtonnements de nos pas
Et une autre marche
Toujours une branche
Pour lézarder l'infini
D'une échappée Belle
Ce cri à l'instant
Retentissant jusqu'ici
Ouvre une blessure
mm
Pour le 26 juillet : Fragments du poème CHOSES du recueil Terraqué de Guillevic (1945)
*
L’assiette est blanche
Et presque on pourrait la toucher.
Vois ta main qui avance
Et tremble sur les bords
Comme un oiseau de proie
qui n’en croirait ses yeux.
*
La table, la chaise ou un autre bois,
L’heure est donc venue
De les regarder
Si fort que l’on peut,
Ne sachant que trop
Qui, encore une fois, se fatiguera.
Mais il faut quand même
Essayer.
*
Sur un bol, sur un mur
la lumière est posée.
Sur le bol, sur le mur
Du soleil est venu
Combler qui les regarde
Et désirait les voir.
Mais il les voit mener
D’autres combats encore
Que les tournois dans l’ombre
Au jeu de la mort douce.
*
L’assiette et le bol
mais qui désirait des yeux
le soleil venu
La table et la chaise
ta main posée sur le bord
lumière blanche
S’essayer oiseau
dans l’ombre de la mort douce
l’heure de la proie
bb
Main qui tremble fort
Posée sur le bol une ombre
Qu'on croirait oiseau
L'heure du soleil
Toucher la lumière douce
Au bois de la chaise
Son jeu sur la table
Ses yeux vers l'assiette au mur
Encore une fois
mm
cette page de Danièle Corre (Extrait de " lorsque la parole s'étonne, éditions ASPECT)
"En ville souvent
la nuit oublie
d'être silence
espace
où accueillir les images
qui nous fondent
que nous réchauffons
sans cesse
pour garder souffle
et pied
dans la houle du temps
avec ses creux, ses cruautés, ses envols, ses renversements.
Il est un lointain champ de blé
dans la hâte de s'étendre
sur le parquet de la chambre
pour rappeler le bercement du monde
sous le vent,
sa course vers la rivière,
vers les carrières de pierres blanches
qu'un crassier de terre grise
caressé d'une main de fer,
écorchant l'enfance
qui cherche ses mots
pour panser la blessure"
les creux de l’enfance
sur le parquet de la chambre
caressée d’un souffle
un monde lointain
une rivière de terre
dans la main qui cherche
réchauffons la nuit
le fer écorchant le blé
blessure des pierres
bb
Accueillir la nuit
Dans la hâte de s'étendre
Et d'être silence
En cherchant mes mots
J'oublie la course du temps
Images d'enfance
Ville sous le vent
La houle dans le lointain
Rappelle un bercement
mm
Poème du 9 août, écrit par René Char
tiré du recueil La parole en archipel
La passe de Lyon
Je viendrai par le pont le plus distant de Bellecour, afin de vous laisser le loisir d'arriver la première. Vous me conduirez à la fenêtre où vos yeux voyagent, d'où vos faveurs plongent quand votre liberté échange sa lumière avec celle des météores, la vôtre demeurant et la leur se perdant. Avec mes songes, avec ma guerre, avec mon baiser, sous le mûrier ressuscité, dans le répit des filatures, je m'efforcerai d'isoler votre conquête d'un savoir antérieur, autre que le mien. Que l'avenir vous entraîne avec des convoiteurs différents, j'y céderai, mais pour le seul chef-d'œuvre !
Flamme à l'excès de son destin, qui tantôt m'amoindrit et tantôt me complète, vous émergez à l'instant près de moi, dauphine, salamandre, et je ne vous suis rien.
Le pont vers vos yeux
à Bellecour ma conquête
cédant au destin
baiser isolé
lumière des météores
sous le mûrier
Salamandre en flammes
Les filatures ressuscitées
Répit dans la guerre
bb
Voyage antérieur
Le murier ressuscité
Émerge à l'instant
Répit d'un songe
Se perdant dans la lumière
Une salamandre
Arrivée la première
Je viendrai à la fenêtre
Pour un seul baiser
mm
16 août : "Poèmes au tournesol" de Jean-Claude Bardot, aux éditions LIROLI
Il est venu par-delà les dédales
Il est venu vol majeur sous un ciel d'albâtre
Le berger porteur d'astres
Le regard accrochant l'horizon
Le cheval Pégase dans les yeux
Il n'avait pas de prêche à faire
Il venait pour la rébellion de l'être
L'étoile inconnue encore à naître
Le vin frappé d'un soleil sans égal
Il est venu pour un "ordre insurgé "
Une harmonie de compagnonnage fervent
Il est venu pour ouvrir des fenêtres
Le poète
Regard d’un poète
des fenêtres sous le ciel
accrochant l’étoile
Pégase est un astre
Rébellion de Dédale
Soleil par-delà
L’être sans égal
Ouvrant le vin inconnu
Porteur d’harmonie
bb
Mon regard frappé
Par l'horizon sans étoile
Un soleil à naître
Ouvrir la fenêtre
Harmonie au ciel d'albâtre
Porteur de soleil
Mes yeux accrochant
Un astre inconnu au vol
Oh! Être Pégase...
mm
23 août : Trois poèmes de l’Anthologie de la poésie populaire kurde traduit par Gérard Chaliand, éditions de l’aube
Je suis la pomme
Je suis la pomme, la pomme fraîche
Je suis l’œillet à douze feuilles.
Quand mes yeux
N’aperçoivent plus mon bel amant
Je perds la force de mes genoux et ne puis plus bouger,
La force quitte mes genoux et je ne puis plus bouger.
Mon beau gars
Tu t’en vas en pays étranger, ne m’oublie pas,
Lève-toi, fais de moi une pomme rouge,
Et mets-la dans ta poche !
Quand tu iras entre belles et douces
Sors-la un instant,
Regarde là,
Ne m’oublie pas.
Connais-tu son amour ?
C’est comme une pluie fine qui tombe
Et l’on marche sans se rendre compte.
Mais on sent qu’au bout de quelques temps
On est mouillé jusqu’à l’âme.
Son amour est ainsi.