Les femmes, poème tissé avec Apollinaire
Dans la maison du vigneron les femmes cousent
Lenchen remplis le poêle et mets l’eau du café
Dessus — Le chat s’étire après s’être chauffé
— Gertrude et son voisin Martin enfin s’épousent
un point de couture
trouver fil et aiguille
mission accomplie
frl
L’ombre du jaquier
les petites filles cousent
leurs robes de feuilles
mm
bouilloire électrique
mouillant le café poudreux
je pense au volcan
bb
Le rossignol aveugle essaya de chanter
Mais l’effraie ululant il trembla dans sa cage
Ce cyprès là-bas a l’air du pape en voyage
Sous la neige — Le facteur vient de s’arrêter
merles de Maurice
des intrus sur la terrasse
miettes disparues
frl
au signal du jour
j'acquiesce à son chant d'amour
pigeon migrateur
bb
Cyprès reverdi
les cris des martins se font
presque mélodie
mm
Pour causer avec le nouveau maître d’école
— Cet hiver est très froid le vin sera très bon
— Le sacristain sourd et boiteux est moribond
— La fille du vieux bourgmestre brode une étole
des mots à voix basse
rencontre dans l’escalier
une invitation
frl
le temps d'un concert
quand s'attarde le soleil
broderies de sons
bb
la cloche s’est tue
à son rendez-vous manqué
elle songe encore
mm
Pour la fête du curé La forêt là-bas
Grâce au vent chantait à voix grave de grand orgue
Le songe Herr Traum survint avec sa sœur Frau Sorge
Kæthi tu n’as pas bien raccommodé ces bas
près de la fenêtre
je couds un carré de soie
musique de fête
bb
retentissement
au loin le chant clair d’un coq
la campagne en ville
frl
La nuit la plus longue
à travers les feuilles trouées
un croissant de lune
mm
— Apporte le café le beurre et les tartines
La marmelade le saindoux un pot de lait
— Encore un peu de café Lenchen s’il te plaît
— On dirait que le vent dit des phrases latines
reprendre un café
lent balancement des branches
la douceur de l’air
frl
plisser les paupières
faire face à l'éclat de l'aube
livre sur le tapis
bb
café du dimanche
on dirait que l’oiseau dit
bénédicité
mm
— Encore un peu de café Lenchen s’il te plaît
— Lotte es-tu triste Ô petit cœur — Je crois qu’elle aime
— Dieu garde — Pour ma part je n’aime que moi-même
— Chut À présent grand’mère dit son chapelet
ascension des voix
balcon ouvert sur l'orage
le bébé sanglote
bb
deux sur la terrasse
les feuillages en roux d’automne
un avion passe
frl
Chapelet de grand-mère
offert par son jeune époux
parti pour la guerre
mm
— Il me faut du sucre candi Leni je tousse
— Pierre mène son furet chasser les lapins
Le vent faisait danser en rond tous les sapins
Lotte l’amour rend triste — Ilse la vie est douce
l'écureuil se lève
offrande de la châtaigne
sur le banc de pierre
bb
un reste de toux
écho d’un très long courrier
être encore là-bas
frl
Le vent fait danser
tous ces pétales – Je t’aime
un peu... pas du tout
mm
La nuit tombait Les vignobles aux ceps tordus
Devenaient dans l’obscurité des ossuaires
En neige et repliés gisaient là des suaires
Et des chiens aboyaient aux passants morfondus
au nid de cigognes
branches empesées de neige
viendra le printemps
bb
Entre chien et loup
sur les volets se déplie
l’ombre d’une vigne
mm
à la nuit tombante
arroser mes plantations
fraîcheur tropicale
frl
Il est mort écoutez La cloche de l’église
Sonnait tout doucement la mort du sacristain
Lise il faut attiser le poêle qui s’éteint
Les femmes se signaient dans la nuit indécise
kachelofe* en bleu
les Rhénanes tendent la main
scènes de faïence
bb
souvenir du loin
la grosse cloche du temple
pures vibrations
frl
éclipse de lune
lentement dans sa cuisine
la chandelle est morte
mm
*poêle alsacien
Septembre 1901-Mai 1902.