

Un herbier de tankas
Les vers en italiques sont de Monique Merabet et les autres de Blandine Berne
Vous pourrez les lire dans une version personnelle sur chacun de leur blog ou les découvrir chaque semaine dans le renga suivant.
10 novembre, un chrysanthème et un crocus :
Serrées comme un poing
Boules blanches des tokyos
Remplaçant la neige (bb)
Pétales multipliés
pour qu'amour dure longtemps ! (mm)
Crocus de novembre
sous le couvert des fougères
mauve origami
rabats de la capeline
ombrant le cerne des veuves
17 novembre
sous le grand plaqueminier
chercheuse d’or végétal
au cœur des safrans
tons chauds d'un dipavali
en écho sur l'île australe
marguerites folles
passées des champs au jardin
comme j'ai vieilli !
d’un peu à passionnément
retricoter leur corolle
24 novembre
Lune de novembre
sabbat des belles de nuit
larguant leur parfum
ce qu’il en reste au matin
la décence le taira
chute d’éventails
entre brumaire et frimaire
tapis de ginkgo
pages d'or où recueillir
nos haïkus de décembre
le 1er décembre
ce vase au long col
coiffé de six gerberas
cigogne de fable
aux plus rituels de nos gestes
s'attachent nos souvenirs
étoiles rubis
un Avent de flamboyants
comme sakura
aux pieds des muses créoles
le Poète effeuille ses vers
Le 8 décembre
Les dernières feuilles
juchées comme des oiseaux
au plus près du ciel
grâce d'un motet de Bach
menant vers l'élévation
boules d'agapanthe
la fillette en capeline
les admirait tant !
ce triptyque de Monet
reparti pour l’Amérique
14 décembre
Au supermarché
épicéas en résille
pour rester coiffés
déployer en les offrant
les rameaux de pierres fines
Boules de Noël
autrefois au pied de l'arbre
la parti letshi*
leur Odyssée jusqu’ici
Mada quittée en novembre
(*on se réunissait en famille autour du pied de la cour pour déguster les letchis et cela se prolongeait en vrai pique-nique, cari poulet servi dans des vanes (vans) sur des feuilles de bananier)
22 décembre
Lys blanc de la paix
spathes en mains qui bénissent
ces vœux qu'on n'ose plus !
le reliquaire à l’épine
fait refleurir ma prière
Simples et poisons
un crochet par ce jardin
fait pour étudier
l'amie férue en "zerbaj"*
m'apprend tisanes insolites
29 décembre
Sous le lilas d'Inde
à l'ombrage ciselé
brise parfumée
juste fermer les paupières
je suis là-bas avec toi
Cabane d’enfance
tresser les asparagus
du carré d’asperges
piquetés de marguerites
pour embellir "salle verte"
5 janvier
La soie des chenilles
au pin gansé par le givre
on ne la voit pas
perçue par les yeux du cœur
au-delà des apparences
Réveil dans Les Hauts
un camaïeu d'hortensias
à travers buée
aux carreaux de mes lunettes
hommage à l’impressionnisme
12 janvier
Fin des nymphéas
Dans la vase de l’étang
La feuille immergée
chercher au fin fond de soi
ce qui peut nourrir la vie
Temps des Miss Vacances
à La plaine j'ai choisi
le coquelicot
renversant son jupon rouge
pour l’inviter à valser
19 janvier
Graminées graciles
l’herbe folle des talus
s’est cristallisée
ma pelouse sans rosée
rêve de telles guipures
Suivre l'éclosion
des oiseaux de paradis
la nique à l'été
monter au piton des neiges
en bonnets avec pompons
26 janvier
aux plants rabougris
je cherche en vain poudre rose
sauvez la taline !
dans le désordre du monde
cris pour ou contre la pluie
Un trou dans la haie
l’araignée est ravaudeuse
rameaux reprisés
comme fleurs de cerisier
font kintsugi au vieux tronc
2 février
Soulever les feuilles
Les bulbes pointent en vert
Main de perce-neige
au revers des nénuphars
petits escargots en grappes
Ne va pas si haut
fleur de liane poc-poc*
je veux t'admirer !
le temps du fruit reviendra
une flamme à la lanterne
9 février
Une invitation
manger des œufs mimosas
entrée de saison
à mon pied mille poussins...
sirandane à deviner
Pour le bleu des fleurs
je rêve d'un bringellier
planté au balcon
laisser la graine aux palombes
la feuille…pour les feuillées !
16 février
Haut platane nu
en ceinture parisienne
verdi de perruches
volière restée ouverte
et Paris soudain s'exotise
Mois anniversaire
soixante-seize fruits d'or
au manguier la cour
un chapelet de noyaux
murmurer une comptine
23 février
Elle a bien tenu
un verre à saké d’eau pour
la fleur qui a chu
sur l'allée devenue mare
flotte hibiscus du voisin
Rondelle de tronc
encastrée dans le trottoir
imagine un arbre...
et la violette des villes,
fleurie au moindre interstice
2 mars 2025
Clairons du printemps :
en bouquet dans la menotte
coucous de campagne
au soleil tintinnabule
une symphonie des prés
fin d'alerte rouge
fagots au bord du trottoir
l'arbre à pain si haut
fruit cuit en ahi ma’a*
l’enterrer non loin des braises
9 mars
Couper deux rameaux
Patience du cognassier
Prunier tout en blanc
Laisse de cyclone
dessins sibyllins sur feuilles
« Au revoir ! » peut-être
garder la branche ébréchée
divinité protectrice
16 mars
Rompant le carême
Un bourdon dans les calices
Confettis-pétales
la robe couleur soleil
ma voisine en Ramadan
vasque de fougères
mon cyprès montre le ciel
fier potomitan*
un peu de géocentrisme
de la cour faire un cosmos
* potomitan : pilier central dans le rite vaudou
mais aussi soutien familial (en général maternel)
23 mars
Fronton du théâtre
étoilé de magnolias
comètes de mars
et le cricri des grelets
dans la nuit mille paillettes
gisants devenus
on replante les banians
du bord de la mer
dans mon carnet d’aquarelles
ses lianes éternelles
30 mars
Jardins au musée
nées dans sa pénombre
fleurs d’intelligence
plantes qui savent si bien
vibrer de nos émotions
Rose de Bourbon
en mon jardin seras-tu
désespoir du peintre ?
l'aquatinte prise à l’aube
sera sa consolation
6 avril
Têtes chues du camélia
Dernier acte romantique
Beautés couleur sang
destins de femmes qui s'usent
à porter rêves trop grands
quelques tours de clé
chaque herbe m'est un trésor
au jardin d'avril
marcheur, ralentis un peu
coup d’œil par le fenêtron
13 avril
Des plumes sur tige
la collection de pivoines
après les flamants
Veille des Rameaux
entrer en contemplation
des belles de lune *
l’orchidée bouc en boutons **
déjà m’agace le nez
* nom japonais de l'épiphyllum oxylopetalum
** « on pourrait affirmer qu'il n'existe pas de plante plus chimérique.
Figurez-vous un thyrse, dans le genre de celui de la jacinthe, mais en plus haut.
Il est symétriquement garni de fleurs hargneuses,
à trois cornes, d'un blanc verdâtre pointillé de violet pâle (…) et paraît s'épanouir dans
on ne sait quel pays de cauchemars ironiques et de maléfices » Maurice Maeterlinck
20 avril
D’une marche à l’autre
grandit l’odeur de glycine
I.A tu ne la sens pas ?
cette gamme des senteurs
qu'étalonne l'alizé
Sous l'arbre fougère
un dinosaure à antennes
surgira... qui sait ?
fêle au pot de terre cuite
racine et iule en cavale
le 27 avril
bouquet de bourrache
de centaurées et jacinthes
ma semaine bleue
Balade en avril
jusqu'au bleu du liseron
avant qu'il se ferme







Notre histoire
écrire de la poésie en correspondance, c'est aussi avoir l'opportunité de croiser les saisons et les regards sur une planète plurielle. Monique à La Réunion regarde les fleurs insulaires, endémiques ou acclimatées. Blandine entre Bourgogne et Lyonnais, pioche dans le béton ou la roche solutréenne des cartes d'hanafuda tempérées. Et parfois chacune d'elle se souvient qu'elle a aussi vécu dans l'autre hémisphère... Ainsi notre herbier fera croître le même jour les oiseaux de paradis et les fleurs de givre.