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Cent tankas en 24 saisons

par Monique Merabet & Blandine Berne

geshi 夏至 

le jour où la nuit est la plus courte

 

1

Au vitrail des feuilles

le soleil couchant transmute

gris du ciel en ors 

 

jardin où les camélias

jonchent l’été de blancheur 

 

2

chat noir alangui

fin de marché on arrose

villa Lumière 

 

Bobiner... rembobiner
scènes de notre existence.

3
Jour plus long... plus court
elles suivent la lumière 
les fleurs du solstice 

 

Jusqu’au bout du crépuscule

des orchestres en terrasse 

 

4

Tambours dans la rue

couronnés de lianes folles

les fanfarons verts 

 

C'est assez de cabrioles
chèvrefeuille, fleuris donc ! 

5
Aube florilège 
le ciel par-dessus le toit
et la Terre orang

 

On brûle Carême en juin

aux flammes de la Saint-Jean

 

shōsho 小暑 

Les jours où la chaleur s'accentue

 

 

6

Grisaille et moiteur

orage à la verticale

ailleurs bruit des bombes

 

Contempler l'arbre du soir
Sa murmuration d'étoiles 

7
Fraîcheur d'un bassin
La fleur de lotus se penche
Mon rêve embelli 

 

Dame mésange au figuier

Musarde entre les fruits verts 

 

8

Se casser le cou

Pour voir si haut dans le pin

le geai polychrome 

 

La tête dans les nuages
En perdre tous ses repères 

9
Châteaux nébuleux 
Quand ciel et mer se confondent 
Cap sur l'infini 

 

Si douce pluie matinale

Une trêve avant la braise 
 

23 juillet  taisho 大暑 

Les jours les plus chauds de l'année


10
Ardeur de midi
sous le papayer ombrelle
pourpre d'une rose 

Teinte fanée du velours
dans ce métro la touffeur 

11
Cahots casse oreilles
voyageuse souterraine
lisant Jules Verne 

 

Fourmis marchant dans le noir
combien de rumeurs à naître 

12
En déséquilibre 
son ombre est tombée par terre
chemin coquelicots 

…aux corolles retournées
pour danser l'oiseau de feu 


13
Roche volcanique
où s'usent mes ballerines
sans un entrechat 

 

Le son chaud du maloya
La cadence des pieds nus

 

Automne : aki 秋

     8 aoūt risshū 立秋 

Le début de l'automne
 

14

Ecran noir total

Patienter pour que la brume

Nous rende la lune


Pour peu que le ciel moutonne
Voir l'astre tout craquelé 

15
Houle fracassante
La maison noyée d'embruns
Si proche des vagues 

Flux et reflux des voitures
Jusqu'au roulis du tramway 

16

Un tambour géant
Sur la façade ces mots
"Maison de la Danse" 


Ballet-ronde... ballet-pointes 
Petit canard devient cygne 


17
Appel du grand large
Un pétrel inscrit au ciel
Le V de ses ailes 

 

La lettre de bon augure

Sans vanité ni victoire

 

18

Adieu d’hirondelles

Leur nid laissé en dépôt 

Au mont-de-piété
 


La plume et peut-être l'œuf
Comme dit la chansonnette 


23 août  shosho 処暑 

La période où les températures baissent

 

19
Au vent frais ondulent
Épis roses "fleur millet"
Mon oreiller d'herbes 

 

Souvenirs de tournesols

Quand les rayons s’étiolent 

 

20

Graine en blanc et noir

Comme la pie des charmilles

Je picore et chante

 

D’un grappillage d’oiseau

Notre verger s’accommode 

 

21

Souffle d’alizé

Qui s’inquiète puis s’apaise

Me suis rendormie 

 

Métro toujours orageux

Microclimat souterrain

 

22

A la fin d’août

On se couche dans l’été

Qui nous abandonne

 

D'une maison à une autre
Changement d'air autrefois

 

8 septembre hakuro 白露 

Quand on aperçoit la rosée blanche du matin

 

23

Bleu diffus à l’Est

le Mont Blanc semble en suspens

mon autre Fuji

 

Trente-six vues dans mon jardin

Le Japon universel

 

24

Réveil dans les Hauts

Sentir l'herbe crépiter

sous mes mocassins

 

froisser le papier cristal

du bonbon menthe glacée 
 

25

Square de verdure

Photos scrollées pour trouver

Le même tout blanc

 

D'un balayage des ombres

changer les couleurs du temps 

 

26

Rosée scintillante

avec nos pieds, débusquer

les noix invisibles

 

glaneuses et grappilleurs 
Dans la forêt et la vigne



23 septembre shūbun 秋分

Lorsque le jour égale la nuit (équinoxe d'automne) 
 

27

A travers le pot

les grains de figue et framboise

forcer le couvercle

 

Que les parfums des beaux jours

ne s'envolent pas trop vite

 

28

Silence d'automne

les escargots ont scellé

leurs frêles coquilles 

 

bottes pour la pêche à pied

l’équinoxe ouvre les praires 

 

29

astre coquillage

de l’autre côté de l’eau

la courbe jumelle

 

entre haijin et lecteur

chacun trace un demi-cercle 

30

Les marronniers d'Inde

bogues rangées en spirales

des jeux d'écoliers

 

Pierre d'ardoise fêlée

Réponse juste à la craie

 

8 octobre kanrō 寒露 

Quand le givre apparaît au matin


31

Le ciel rembruni
sous la couette en cotonnade
bout des pieds gelés

 

Rincer l'eau bleue du pinceau

pétales de tokyos blancs

 

32

Salle des Nabis

sur la paroi monotone

fragile skieur

 

Telles sont neiges d'antan

quand nos glaciers se fragmentent

 

33

Scrutant l'horizon

je sais que les oies sauvages

n'atteindront pas l'île

 

Aux jardins des Tuileries

Les cent pas d'une mouette 

 

34

Un froid de saison

Si loin l'image des plumes

Volées aux volailles

Pépiement ... miaulement
Un peu de duvet dans l'herbe

 

23 octobre sōkō 霜降

Les premières gelées

 

35
notre anniversaire

la rosée deviendra glace

changeant d’hémisphère

 

les mêmes mots pour dépeindre

chagrins du corps et du coeur 

 

36

Première gelée

mon souvenir a cueilli

la dernière rose

Tant de fleurs sont conservées
Dans l'herbier des livres lus


37

Plus que quelques pages
Mazagran et couverture
Sources de chaleur

 

Ailleurs fume un brasero

pour le thé d'un autre rêve 

 

38

Saison de sôkô

feuille d'arbre à pain qui tombe

l'endroit et l'envers

 

Ma main sur le mur de pierre

Marbre bleu veiné de blanc 

 

39

Sous le sol durci

l'insoupçonnable trésor

graines et racine

 

bambous passés à la flamme 

Fredonner la nostalgie

 

40

Dans les aubes noires 

Écho d'un néon lointain 

Horizon d'immeubles

 

Passe l'heure la saison

combien triste est le béton

 

41

Scintillant de givre

Sur la terrasse se penche

Saule d'autrefois 

 

Travail caché des termites

Mais Pise n'est pas tombée 

 

42

Ciel blanc plaine blanche

Le choucas passe sans cri

Traces de mes pas 

 

En quelques traits éphémères 
Paysage qui s'épure

 

23 novembre koyuki 小雪 

Petite neige

 

43

Aux berges du lac

Frange noire des sapins

Juste sous la neige 

 

L'aborder à petits pas

sans effaroucher l'oiseau 

 

44

Aux légers flocons

vus pour la première fois

ce rire d'enfant 

 

buée soufflée en nuage

son nez collé à la vitre 

 

45

Sur le fil à linge

Ma chemise toute raide

amidon de glace 


Vécus à saute-saison
En deçà ou au-delà 

46
En larmes figées 
Silence au bout de ces branches 
Qui ne rompront pas 

 

Mes paumes se réchauffant

à la tasse privée d’anse

 

7 décembre taisetsu 大雪 

Lorsque la neige tombe en abondance


47
Sans couleur ni son
Tombe la neige - je bois
Mon café vanille 

 

chaises drapées au jardin

qu’on oublie jusqu’au printemps 

 

48

Sans voix je traverse

l’autre monde enseveli

au-delà des Andes 

 

Et des neiges éternelles 
Notre mythique espérance 

49
Nuances de blanc
Quel pinceau saurait les rendre
À perte de vue ? 

 

Choix d’un papier aquarelle

Gonflant sous l’action de l’eau 

 

50

Verticalement

Syllabes indéchiffrables

aux branches du saule 

 

Graffs d'insectes sur les limbes
Auraient-ils un sens pour nous ? 

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