Mutatis Mutandis
sur un quatrain traduit par Georges Voisset*
*Pantouns malais,
Orphée, La Différence, 1993
Le coton doit devenir fil
Et le fil devenir tissu
Oublions ce qui est fini
Un autre il est devenu
L'épi va devenir grain
Le grain devenir farine
Retrouver son goût au pain
Quand je beurre une tartine
La rose a posé ses pétales
Décoction devenue senteur
Reflets de l’anneau à l’opale
Ma main a perdu ses faveurs
La rose désespoir du peintre
Vire du rose au crémeux
Je me contente sans contrainte
De la contempler des yeux
Bleu éphémère d’une fleur
Chaume du lin restant rouir
je trouve à tes yeux leur couleur
Pailletée de doux souvenirs
Au vent d'avril les draps sèchent
Toile métis rincée au bleu
Monte une odeur propre et fraîche
D'anciens lavoirs l'écho joyeux
Avril doit devenir mai
Déjà le muguet est fané
Avant toujours vient le jamais
Pauvres fiancés confinés
Brin de muguet sur ma fenêtre
Déjà flétri sous l’alizé
Au fond du jardin transplanté
Son fruit rouge verrai-je naître ?
Mille coquilles brisées
Mêlées au corail en poudre
L’eau, le vent et les marées
érodent le temps à moudre
Le temps confiné se dépose
instants mi figue mi raisin
Pensées joyeuses quand j'arrose
j'aime la figue et le raisin
Libre la vigne marronne
Enserre le géranium
Nul amoureux ne m’emprisonne
Si le rosat devient médium
Le papyrus devient papier
Qu'un scribe effleure du calame
Aux mots semés sur mon cahier
Mon stylo donnera-t-il âme ?
Ce moucheron sur ma feuille
Prend un air bien familier
Mes vers les juge-t-il de l’œil
D’un poète réincarné ?
Le confinement s'éternise
D'un bourdonnement kafkaïen
Un violoncelle me grise
De l'arc-en-ciel qui nous revient
Du chantier revient la poussière
De l’arbre neige le pollen
En flocons plus légers que l’air
Par le ciel j’allège mes peines
A mon poignet que le temps plisse
la montre retarde un peu
A la chaîne des jours se glissent
paillettes d’instants heureux
A mon visage ce mouchoir,
Batiste brodée d’initiales,
Larmes effacées par l’espoir,
Je couds le masque du banal
N'est-ce pas signe de magie
Que la soie sorte d'un cocon ?
Et que je pleure ou que je rie
Sans fin s'étirent les saisons
Dans un conte de mon enfance
La vie est un fil roulé
Je garderai souvenance
De lentement la dévider...
Monique Merabet et Blandine Berne
avril, Saint-Denis de La Réunion,
Villeurbanne, mai 2020